UNDERGROUND BORDEAUX MASSIVE
Il y a trois mois, le 25 mai dernier pour être précis, se déroulait au BT59, la soirée consacrée à la sortie de la compilation Underground Bordeaux Massive, deuxième du nom. Fort du succès de l’édition 2017, c’est par le biais de son label, Breakbeat Fury, que DJ Norman réunit pour la seconde fois, les producteurs qu’il considère comme étant la crème de la crème de la scène Bass Bordelaise. Après plusieurs écoutes (et je dois le reconnaitre, dès la première) il semblerait qu’il ait vu juste sur la quasi-totalité des titres. On y retrouve les acteurs phares du moment, des jeunes pousses, mais également des vétérans, dont quelques activistes de la première heure.
Retour sur cette compilation qui mérite d’être découverte par le plus grand nombre, mais d’abord, un peu d’histoire…
DJ Norman
Contrairement aux idées reçues, Bordeaux est belle certes, mais pas endormie. La ville foisonne de lieux, de collectifs et d’associations s’articulant autour de la nuit et du petit monde de la musique électronique.
Mais alors qu’en est-il de la Bass Music ?
Bordeaux est la ville de tous les paradoxes : la scène Bass n’a jamais été aussi bien représentée et les soirées n’ont jamais été autant désertées, exception faite pour le Dub dont le public bordelais raffole et dont les évènements se multiplient, au même rythme que les averses qui s’abattent sur la région…
Avec l’explosion de la Jungle et de la Drum and Bass à la fin des années 90’s, alors que les producteurs français se comptent sur les doigts de la main, que les réseaux sociaux n’existent pas, et que les DJ’s ont encore l’obligation d’acheter des vinyles afin de pratiquer leur art, la scène bordelaise remplit les salles.
Je me souviens du Lambi, des befores de l’Aviatic, du CAT, me revient aussi en mémoire le Zoobizarre plein à craquer, une queue interminable sur le trottoir pour y accéder, un flyer distribué quinze jours auparavant, où sont inscrits les noms de deux DJ’s et demi, la plupart du temps locaux. La scène est folle, l’ambiance survoltée. La Drum and Bass est partout, en Free Party également. Les collectifs d’alors s’appellent 18’’, Soundlab Crew, Uzinadub, ou encore Urban Nation. Des mecs comme Teebee (Certificate 18) déboulent pour trois billets, personne ne se plaint de devoir dormir sur un canapé. Nous étions finalement très loin du star system d’aujourd’hui, avec pour obligation de remplir des salles toujours plus grandes, sur des soundsystems toujours plus gros, des exigences et des moyens qui dépassent de plusieurs milliers d’euros la plupart des budgets que peuvent s’autoriser les petits collectifs de la région. Sans parler de ce trop-plein d’énergie, canalisé à la truelle, avec des events dont la programmation se cantonne aux artistes les plus médiatiques, souvent les plus médiocres . . .
Alors à quel moment ça a merdé ?? Pourquoi Toulouse, qui se trouve à deux heures de route ne subit elle pas le même constat ??
Les associations et collectifs locaux se sont pourtant sévèrement bougés durant ces dernières années, on pense à Cubik, SoundRising, Bass Day, Organ’ Phantom, Andromac, Bordeaux Deep Family, Melting bass, des structures comme Banzai Lab et bien évidemment Breakbeat Fury et ses incontournables « Bass Invaders ».
The Subvivors featuring Fransax – Silk Road
Aujourd’hui, et alors que talent et volonté se conjuguent plus que jamais, un DJ Hype ne dépasse plus les deux cents entrées. Des solutions ? Un retour vers l’underground ? Des salles plus petites, des évènements plus confidentiels, de meilleures connexions entre les acteurs, une plus grande régularité…
Il y a actuellement un réel problème d’éducation, un manque cruel de culture, d’ouverture et de sensibilité. C’est assez criant avec le Dubstep et sa démocratisation, cette musique est victime de son succès. La frange la plus deep et la plus riche de ce mouvement est écrasée par des mastodontes sans intérêts, sans âmes et sans saveurs. Et que dire du Trap, du Footwork ? Quasi inexistant…
Le problème à mon sens, vient aussi des soirées estampillées « BASS », appellation galvaudée, dont la signification s’est perdue en chemin, tout comme son petit frère « ELECTRO ». D’ailleurs, en remontant l’histoire, il est assez amusant de constater que ces deux termes génériques furent des styles de musiques à part entière durant les années 80’s . . .
Khords – East Complain
Si la sortie de la compilation ne remplit pas les salles, Underground Bordeaux Massive vient en outre réconforter nos oreilles: les producteurs bordelais sont bel et bien présents, et nous le font savoir. Ils s’exportent et se produisent bien au-delà de nos frontières. A l’instar de Roots Zombie et The Subvivors, s’offrant l’ancien aérodrome militaire soviétique de Rechlin-Lärz comme terrain de jeu, pour le Fusion Festival en juin dernier. De retour sur ce deuxième opus, ils font partie de mes coups de cœur. Le très « Dub Phizix » « Physik » (ça ne s’invente pas) du premier est une ode au dancefloor, d’une énergie folle, ce titre révèle à lui seul tout le potentiel de Roots Zombie, qui vient de sortir un nouvel album sur ODG. « Silk Road » signé The Subvivors, est une petite sucrerie Steppa Dub, dont la flûte enchanteresse de Fransax (ex Improvistaors Dub) donne un accent mystérieux et presque sensuel durant ces quatre minutes de dégustation.
On retrouve sur ce deuxième opus, sept autres des artistes déjà présents sur le volume précédent, dont M. Burns, Neofunkers, Dewaxed, The Roofriders, et DJ Norman. Ce dernier, se produisant depuis deux décennies, est le Directeur artistique du projet. Son titre « Snake Charmer », vous fera indéniablement onduler.
Les morceaux de Khords et Oudjat, quant à eux, ont en commun cette profondeur et cette atmosphère que j’avais déjà retrouvées chez ces deux artistes. D’une délicatesse et d’une précision presque chirurgicale. En version Drum and Bass pour le premier, en Dubstep, deep et dowtempo pour le second, très aérien et très méditatif: un délice auditif.
Si quelques petits nouveaux font leur apparition, comme Arkhé, Koma ou Easy Deviance, UBM accueille cette année deux vétérans : j’ai nommé Syn74x 3rr0r et MSTRV1. Le premier s’est fait connaitre avec ses productions Hardcore il y a 20 ans, sous le nom de Kepa la Pierre. Il débarque ici avec un titre Drum and Bass, rappelant les premières heures du label « Prototype », dark et puissant. Le second, un ancien membre du Soundlab Crew, portant désormais et en toute logique l’étiquette Bass Day, fit ses armes sous le nom de V-Truder, puis Mr V. Son titre « SWAP », évoque l’époque glorieuse des années 80’s, où l’Electro se faisait Bass, et vice versa. Les samples ne trompent pas. Le plaisir se lit sur mon visage.
Syn74x 3rr0r
Pour conclure les réjouissances, Nasty Lewis met les doigts dans la prise avec son « foot Spring », titre alien, UK Garage , à 140 bpm. Cette bombe fera le bonheur des derniers survivants, de ceux qui refusent de rentrer lorsque les lumières s’allument, au petit matin.
Underground Bordeaux Massive remplit aisément son contrat, alors, pendant que certain se payent le luxe de prolonger l’été en Sardaigne, pour le Sun and Bass Festival, pourquoi ne pas s’offrir les quinze titres de la compilation ? En « Name your price » depuis hier, sur bandcamp. Le CD est quant à lui disponible pour le prix d’un demi-verre de Vodka, ne vous en privez pas !
Retrouvez Roofriders et Roots Zombie à « Bass is Back #1 », organisée au Steady, le 21 Septembre. Puis Oudjat lors de « Partie Fine with Moresounds » qui aura lieu au VOID le 5 Octobre.
Retrouvez enfin, DJ Norman au Shake Well Festival, le samedi 15 Septembre, ainsi que pour ses Fresh & Furious, diffusés un samedi sur quatre sur SUB FM !
Next round / 2018.09.22 / 16-18h.