CHRONIQUE FREAK – NEW WEIRD AMERICA

Le freak intrigue, c’est un fait, et ceci depuis ses origines. Il est bizarre, weird, différent, à l’image de sa musique.

Mais au fait, il vient d’où, le freak ? Et puis, au-delà de l’image, c’est quoi « être freak » ? Est-ce quelqu’un de chic ? Et comment le freak se traduit-il en musique ?

ORIGINES DU TERME

C’est tout d’abord dans l’univers du cinéma que le terme trouve son sens. Peut-être les plus cinéphiles d’entre vous connaissent Freaks (1932), connu sous le titre de La Monstrueuse parade en France, un film de Tod Browning. Hans, illusionniste lilliputien, fiancé à Frieda, tombe amoureux de la trapéziste Cléopâtre, entretenant elle même une liaison avec le musculeux Hercule. C’est étrange, weird, et la plupart des personnages sont victimes de malformations.

Car c’est bien le sens premier du terme : phénomène de foire, monstre, personne malformée. Le freak est d’abord Elephant Man de David Lynch (1980) ou Phantom of the Paradise de De Palma (1974).

Cette image du monstre de cirque naît donc au cinéma dans les années 1930, et ne disparaît pas totalement, la pochette de Strange Days de The Doors (1967), photographie d’acteurs de cirque, en est la preuve.

Cependant, le sens du terme va régresser vers une définition plus commune, celle d’une personne bizarre, parfois anti-conformiste, parfois simplement différente, une définition qui se rapproche de celle de Franck Zappa, qui incarnera la figure de la freak scene des sixties :

« Sur le plan personnel, c’est un procédé par lequel un individu se libère des normes de pensée, de tenue et d’étiquettes sociales dépassées et limitées, dans le but d’exprimer de manière créative sa relation à son environnement et à la structure sociale comme ensemble »

Finalement, le freak est devenu celui qui n’est pas comme tout le monde, et qui le revendique.

LA FREAK SCENE

C’est ainsi qu’une scène musicale freak se développe, originellement à Los Angeles, au milieu des années 1960. Les acteurs de cette scène sont pour la plupart issus d’une jeunesse désabusée par modèle de vie américain, allant à contre-courant.

La freak scene naît d’abord autour de Vito Paulekas, artiste peintre et sculpteur, rapidement rejoint par son associé Carl Franzoni, élégamment surnommé Captain Fuck, et quelques autres, et se fait connaître par son excentricité, notamment dans sa façon de danser, totalement inédite et dérangée.
La bande s’autoproclame elle-même freak, revendiquant ainsi son étrangeté. C’est la première communauté hippie d’Hollywood, selon Barry Miles, vivant de danse libre et d’orgies sexuelles.

De nombreux musiciens adhèrent alors à leur façon de penser, parmi lesquels Arthur Lee, David Crosby, Captain Beefheart, et bien sûr, Franck Zappa. Ce dernier dira de Vito et de sa bande que « dés qu’ils arrivaient, ils faisaient en sorte que des choses se passent, parce qu’ils dansaient d’une manière que personne n’avait vu avant, criant et hurlant à même le sol, et faisant toutes sortes de choses bizarres. Ils étaient habillés de telle façon que personne n’y croyait, et ils donnaient vie à tout ».

Le personnage de Franck Zappa fascine, et il devient rapidement l’icône du mouvement freak, avec les Mothers of Invention, leur premier album s’intitulant sobrement Freak Out !(1967)

Le freak est libre, chante, danse, consomme de l’acide, se revendique différent et dérange. C’est la jeunesse américaine décomplexée, qui repousse les limites des normes, l’art à la main.

Si l’on s’en tient à cette définition, les exemples de freak sont nombreux, même s’ils ne se revendique pas de la freak scene. On peut ainsi penser aux auteurs de la beat generation, Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs en tête, ou aux musiciens aux looks décalés, comme David Bowie dans sa période androgyne, et tant d’autres.

NEW WEIRD AMERICA

C’est dans la fin des années 1990 que le freak va refaire surface, sous le mouvement appelé New Weird America, littéralement, la nouvelle Amérique bizarre.

Le freak folk puise ses inspirations dans le rock psychédélique des années 1960, mais fait le pari d’aller encore plus profondément dans le psychédélisme, soit montrer l’âme pour ceux qui auraient oublié leurs cours de grec.

Il en ressort une musique introspective, parfois calme, qui utilise souvent des sons et des instruments peu courants dans le folk, des rythmiques tribales par exemple, des chants joyeux portés par des voix puissantes d’émotions, comme c’est le cas pour un des groupes les plus représentatifs du genre, Animal Collective.

Mais qui dit introspection ne dit pas nécessairement le transport de l’âme dans l’insouciance de la nature. Le voyage intérieur peut aussi se révéler plus sombre et tortueux.
C’est le cas de Cathedral du groupe Castanets, nettement plus expérimental, qui nous emporte cette fois-ci dans le royaume du weird, des paroles aux sonorités, bizarrement harmoniques.

Finalement, le freak, c’est un peu n’importe qui, à condition qu’il soit lui-même.