Ital Tek – De l’obscur nait la lumière
À la croisé des chemins, entre le clair et l’obscur, tiraillée entre le doute et l’espoir, la musique d’Ital Tek s’est toujours située comme un marqueur auditif de notre société. Avec ce nouvel album, Alan Myson dépeint la morosité ambiante et l’oppressante réalité dans laquelle nous vivons, avec une variété de sons, physiques et intenses, un mécanisme de défense harmonieux, qu’il façonne à la perfection.
Ici, les courants musicaux n’ont plus d’emprise, les repères et les genres se sont évaporés dans les limbes de nos tympans. Le jeune anglais brouille les pistes depuis le milieu des années 2000. On se souvient par exemple, de l’audacieux « Deep Pools », samplant « Pyramid Song » de Radiohead.
Catalogué artiste Bass, puisque lorgnant vers tous les styles que composent cette appellation, produisant un Dubstep décortiqué, teinté d’IDM, de sonorités Glitch et brumeuses, Ital Tek finit par se libérer de toutes contraintes stylistiques, se détachant progressivement des étiquettes que l’on s’impose, pour nous offrir ce sixième opus, bouleversant, éthéré, d’une justesse et d’une maitrise insolente. « Bodied » se doit d’être écouté d’une traite, il se lit autant qu’il s’écoute, il se regarde aussi, pour cela il nous suffit de fermer les yeux.
Les rythmiques ne sont plus que murmures, laissant place aux arpèges, aux envolées mélodieuses, dont l’ampleur ne cesse d’augmenter, titre après titre. Un travail époustouflant, sur le grain et la structure des sons. Silence et aller-retour rétro-futuriste, Ital Tek sonde les tréfonds d’un genre nouveau.
Anxiogènes et lumineuses, les trois minutes d’introduction proposées par « Adrift » nous plongent dans son univers cryptique, où voix fantomatiques et nappes délicieuses se perdent et s’entrelacent.
Avec « Become real », Ital Tek semble évoquer la réalité de l’orage qui s’annonce. On retrouve ici des aspects de l’album précédent, avec des titres comme « Jenova », sur lequel il avait déjà commencé sa reconversion Ambient, crépusculaire et tourmentée.
C’est d’ailleurs sous cette forme, que se présente l’oppressant « Lithic ». Ce troisième titre inquiète autant qu’il subjugue. Sa structure déstabilisante rappelle les productions d’un certain Mark Van Hoen (Locust), autre génie de l’obscur.
Fidèle à « Planet Mu » depuis la sortie de son premier album en 2008, dont Venetian Snares, Jega et autres Vex’d furent longtemps les porte-étendards, Alan Myson, tout comme son compatriote Kuedo, parvient encore à maintenir la renommée de ce label qui s’est perdu en chemin. Marchant sur les pas du géant « Warp », culte certes, mais dont les choix artistiques et les directions prises ont fini par diluer tout le génie et toute la créativité qui avaient propulsé le label de Mike Paradinas au sommet.
Sur ce nouvel opus, Alan Myson conjugue machines et instruments acoustiques, insérant des enregistrements live de violoncelle, harpe et guitare, apportant toute l’intensité orchestrale que l’on peut ressentir notamment sur « Vanta », et sur « The circle is complete », clôturant l’aventure de ce petit chef-d’œuvre de noirceur.
« Hymnal » et ses arpèges Synthwave, pourrait être la BO idéal d’une hypothétique saison 4 de Stranger Thing. On y dénote les traces d’un titre plus ancien: l’excellent « Challenger Deep », extrait de l’album « Control », découvert en 2013.
Les titres sont courts, le souffle aussi. « Blood Rain », premier extrait diffusé avant la sortie de l’album, est peut-être le plus accessible. Ses impulsions sous-jacentes donnent à l’ensemble une énigmatique sensation.
« Bodied » atteint pourtant son paroxysme avec son titre éponyme. On y retrouve par moment du Vangelis, et je m’amuse à imaginer le jeune Alan, avalant des heures et des heures de Blade Runner, les yeux pétillants de bonheur. Pendant ce temps, les miens se remplissent de larmes…
Nul doute possible, Ital Tek se place une nouvelle fois au sommet des artistes les plus novateurs du moment. Cet album alien est ingénieux, passionnant, viscéral.
En nous déversant une musique schizophrène, à l’image du monde qui nous entoure, Alan Myson apporte toutefois des réponses, comme une thérapie sonore, offrant son lot de réconfort, de douceur, il nous rappelle que la lumière n’est pas encore éteinte.